En bon gratte-papier que je suis, j’ai pratiquement écrit sur tout, sans grande difficulté.  Pour moi mais aussi pour d’autres personnes.

 

Depuis toute petite, dès mon entrée à l’école primaire et jusqu’à aujourd’hui, il y a toujours quelque chose qui me donne envie d’écrire ou quelqu’un pour me demander de l’aider à adapter un texte.  J’aime écrire.  Et j’aime jouer avec les mots.  C’est à dix ans, en quatrième classe du primaire que je pense avoir donné le meilleur de moi-même.

 

Tard dans l’après-midi du 24 mars, la veille de la Fête de l’Indépendance, je m’aperçus que j’avais perdu le poème que j’étais censée réciter le lendemain matin à la fête de l’école.  A la dernière minute!  Seule la maîtresse savait de quel poème il s’agissait.  J’étais sûre qu’en demandant de l’aide à ma mère, je ne récolterais qu’une bonne gifle (et elle portait une bague avec une pierre énorme!) sans compter la punition qui irait avec.  Quant à mon père, j’étais également sûre qu’en lui demandant de l’aide, j’étais condamnée à aller pleurnicher de honte dans le tablier de la maîtresse, non sans avoir entendu leurs gloussements au téléphone sur mon étourderie et sur le fait qu’il fallait absolument qu’ils me mettent un peu de plomb dans la tête.

 

Je m’enfermai donc dans ma chambre bien décidée à me creuser les méninges.  Il fallait que je me souvienne!  A tout prix!  Peu à peu la première strophe me revint.  Puis, quelques mots par-ci par-là.  Le poème était long mais pas si long que ça.  Quatre strophes, de quatre vers chacune.  Plus le nom du poète que je devais annoncer à la fin: Dionysios Solomos.  Et la nuit tombait!  Plus j’y pensais, plus cela devenait évident: la seule solution à mon problème était de COMMENCER AVEC LA PREMIéRE STROPHE ET D’ÉCRIRE LES TROIS AUTRES MOI-MéME, EN UTILISANT LES QUELQUES MOTS DONT JE ME SOUVENAIS, TOUT EN ESSAYANT DE GARDER LE RYTHME DES QUATRE PREMIERS VERS, ET DE METTRE a LA FIN LE NOM DU POéTE – IL ÉTAIT PEU PROBABLE QUE MES PARENTS PRENNENT LE TEMPS DE VENIR a LA FêTE – OUF-ffff… quel soulagement!!!

 

Je n’oublierai jamais le regard affolé de la maîtresse et près d’elle, -au premier rang – les sourires satisfaits du maire, du chef de la police et du prêtre de notre banlieue athénienne, si fiers de cette petite tête blonde, qui incarnait le futur poétique de la Grèce, à savoir: moi.

 

Je n’oublierai jamais non plus qu’au moment même où je laissais retomber les coins de ma robe après avoir effectué une profonde révérence sous les applaudissements enthousiastes du public, je sentis une main tirer sur ma jupe pour me faire descendre de l’estrade dont, de toute évidence, je n’avais nulle envie de descendre.  Projetée dans le coin de la pièce, je vis un visage furieux se coller au mien, un sourire scotché aux lèvres.  Après avoir vissé les doigts de sa main droite dans mon oreille, la maîtresse me chuchota d’une voix rauque: «Que va-t-on faire de toi, Théodoropoulou?  Mais que diable vais-je faire avec toi?»

 

Je retenai ma respiration, m’attendant au pire – qu’elle me traîne de force jusqu’à son bureau, qu’elle appelle mes parents pour tout leur raconter – quand tout à coup, le sourire toujours scotché aux lèvres, elle s’écria: «Hors de ma vue et fais en sorte que PERSONNE n’apprenne JAMAIS ce qui s’est passé. Tu as compris???»

 

Avant de sortir, je regardai derrière moi.

Elle se tenait debout dans le hall, l’air hagard.

Que s’était-il passé ?

Il va sans dire qu’elle raconta tout à mes parents le jour même.

Mes parents en parlèrent à leurs amis dès le lendemain.

Mon exploit les amusa tous énormément.

Qu’avais-je fait ?

Personne ne m’a jamais dit si c’était bien ou mal.

J’ai donc grandi la joue intacte.

 

 

 

 

 
 
 
     
     
 
 

CROQUIS 1: « … LA FIN»

 

CROQUIS 2: ET VOILA! MON ROMAN EST TERMINÉ.

 

 

 

 

CROQUIS 3: SI L’ACADÉMIE SUÉDOISE APPELLE POUR LE NOBEL, JE SERAI a CôTÉ EN TRAIN DE JOUER

 

 
   

J’adore Arkas. Depuis des années. Dernièrement, j’ai appris qu’il est psychiatre. Mais si, voyons! Machin Chouette, tu ne le savais pas? m’a-t-on dit comme si j’étais la seule personne au monde à ignorer ce détail.

 

Je n’ai pas retenu son nom, d’une part parce que les mondanités me laissent indifférente et d’autre part parce que de toute façon je vais continuer à l’appeler Arkas – tout comme je continue à appeler le café Dolce, rebaptisé entre-temps Filion, Dolce, et à prononcer à la française le nom du magasin Habitat, tout simplement parce que je tiens à mes références personnelles. Ma vie ne m’appartient - peut-être – pas, mais les dérives dans mes vieux lieux de prédilection, elles m’ appartiennent et je compte bien les garder jusqu’à la FIN.

 

C’est ainsi que par une coincidence diabolique, à l’époque où j’écrivais mon roman La Lettre de Dublin, l’oiseau de la bande dessinée dominicale d’Arkas écrivait lui aussi le sien. Quelle bonne compagnie! On termina en même temps, peut-être qu’il finit en premier, peut-être fut-ce moi, je ne me souviens pas. 1996. Par contre je me souviens trés trés BIEN que cette bande dessinée dominicale intitulée Vol bas symbolise la FIN de mon premier roman et en même temps, la FIN des questions restées sans réponse: Que fais-je? Qu’écris-je? Est-ce que c’est un roman que j’écris? Quel genre de roman? Mais quoi ?  Mais bon sang ! Qu’est ce qui m’a pris?

 

 
 
 
 

 


 

En hiver 1999 je décidai d’aller rendre visite à ce cher K. à Édimbourg. A cette époque, j’écrivais mon roman Le Jeu en Vaut la Chandelle – et il se passait des tas de choses préoccupantes. En dehors des problèmes - dont on allait longuement débattre dans des bars et des appartements d’étudiants - un samedi matin où il tombait des cordes «écossaises» on partit à la recherche d’ornithologues amateurs, plus connus sous le nom de BIRDWATCHERS.  Le père d’Émilie - Émilie étant l’héroine principale de mon livre Le Jeu en Vaut la Chandelle – était lui-même un ornithologue averti qui vivait quelque part dans la région… Je n’avais qu’une envie, faire connaissance de ses amis – à plumes et les autres, les observateurs d’oiseaux.

 

Au printemps 2000, je m’expédiai en recommandé chez ce cher K. à Edimbourg, après avoir écrit le mot FIN sur Le Jeu en Vaut la Chandelle. Étant une piètre menteuse, Th. lui téléphona et le pria d’aller au terminal des bus le soir-même pour réceptionner l’ami d’un ami, de passage en ville, qui devait lui remettre un… paquet! Dans la vie courante, le deus ex machina se manifeste souvent sous la forme d’une bonne surprise. Après nous être débarrassés de notre fardeau de nouvelles désagréables, j’étais libre de me consacrer pleinement à ces ballades solitaires et sans but dont je suis si friande et à ces bavardages avec d’extraordinaires inconnus Ecossais. Dans mon livre Le Jeu en Vaut la Chandelle, Giorgios Bellistoris – l’autre caractère principal - est psychiatre. Au départ, Émilie était sa patiente. Un après-midi, alors que je déambulais dans Édimbourg, je tombai sur ce croquis de John Callahan. Le soir même, je l’envoyai par mèl à quelques amis avec ce commentaire: «Je tiens à informer trois ou quatre de mes amis que je viens terminer mon deuxième roman.  Grosses bises».
 
     
 
 
     
 

Un mardi matin de l’hiver 1996, j’allai déposer le manuscript de mon premier roman chez deux éditeurs Grecs – le plus célèbre et l’ami.

Dix-sept jours après, le plus célébre laissait un message sur mon répondeur: «Nous aimerions dès que possible signer un contrat avec vous!»

Ce jour-là je fis très bonne impression en danseuse Apache éclopée à mon jeune fils qui jouait aux Indiens sous la table de la cuisine. Je venais de rentrer à la maison – d’une main j’avais enlevé l’une de mes chaussures et de l’autre je venais d’appuyer sur le bouton du répondeur – quand je me mis à sauter autour de la tente du chef des Peaux-Rouges, en poussant des cris de joie et hurlant des a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a a… une chaussure au pied et l’autre à la main, alors que la célèbre voix répétait en boucle: nous aimerions dès que possible signer un contrat avec vous nous aimerions dès que possible signer un contrat avec vous nous aimerions dès que possible signer un contrat avec vous. Chaque fois que je passais en dansant devant le répondeur, j’appuyais sur play.

 

Deux jours avant de signer, je décidai de téléphoner à l’ami éditeur qui n’avait toujours pas donné signe de vie: il n’était pas intéressé, le manuscrit avait besoin de beaucoup de travail, mais je pouvais passer quand je voulais, on irait prendre un café!

 

Dix jours plus tard, je déposai à son bureau un mot lui souhaitant un joyeux Noël ainsi que la liste des ouvrages à paraître chez l’éditeur de renom, avant de l’emmener m’offrir un verre.

 

A Noël de l’année suivante, nous quittions Athènes pour des vacances romaines en famille, non sans avoir encaissé le chèque qui accompagnait le Prix Maria Rally du Meilleur Nouvel Auteur pour 1997.

 

Les mois suivants me trouvèrent complètement dépassée par les événements: qu’étaient-ce que ces toutes ces ABSURDITÉS autour DU LIVRE?

Un an après j’étais toujours sur une pente savonneuse tout comme Alice glissant dans le terrier du Lapin, à me torturer l’esprit: Fallait-il écrire à nouveau ou ne pas écrire? Pourquoi écrire? Pourquoi ne pas écrire? Mais écrire pour qui? Pour qui ne pas écrire? Et que se passerait-il si j’arrêtais d’écrire? Et si j’écrivais?

Lassés de ma descente aux enfers, mes amis cessèrent de me répondre et m’abandonnèrent à mon triste sort. L’un d’eux alla même jusqu’à me dire en colère – un jour où je lui avais glissé quelques feuillets que j’avais baptisé roman – «Trèèès trèès biien, continue à ce rythme et on pourra bientôt publier tes OEUVRES COMPLÈTES». Un autre, que je harcelais régulièrement sans rien lui donner à lire, me dit un soir qu’il avait bu que j’aaavais raaaison sur tooout et que je pouvais désormais me jeter dans le précipice toute seule.

 

La réponse que je cherchais au cours de cette chute effrénée, j’allais la trouver un matin à la lettre TH du catalogue de mon célèbre éditeur: THalassis Giorgos, THéodorakopoulos Ioannis, THéodoropoulou Vicky, THucydide, (TH) Cervantes Miguel, THéotokas Giorgos, THéotokis Konstandinos.

 

C’est à ce moment-là que je pris la décision de me remettre sérieusement au travail ! Je n’allais pas me priver d’une telle compagnie?